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Souveraineté numérique : de quoi s'agit-il ?

Il y a encore trois ans, personne n'en parlait, et aujourd'hui, on a l'impression que le terme « souveraineté numérique » est partout.

Ce n'est pas un hasard ni un simple battage médiatique : il reflète plutôt une série d'évolutions géopolitiques, juridiques et technologiques qui se sont intensifiées ces dernières années.

Qu'entend-on par souveraineté numérique ?

Essentiellement, la souveraineté numérique désigne le degré de contrôle qu'un pays, une organisation ou un individu exerce sur son propre destin numérique. Elle implique la capacité de prendre des décisions indépendantes concernant ses données, ses logiciels et son infrastructure numérique, sans dépendre des lois ou des intérêts commerciaux d'autres entités, souvent non européennes, ou de solutions implicites imposées de l’extérieur.

Plus concrètement, elle soulève des questions telles que :

  • Où sont mes données ? Sont-elles stockées dans un centre de données situé dans l'UE ou aux États-Unis ?
  • Quelle législation s'applique ? Mes données sont-elles protégées par le RGPD, ou un gouvernement étranger peut-il y accéder via des lois telles que le Cloud Act américain ?
  • Qui gère les logiciels et l’infrastructure et dépendons-nous de quelques géants technologiques non-européens pour la gestion de nos processus critiques ?
  • Avons-nous les compétences et les moyens de développer et de maintenir nous-mêmes cette technologie ?

Ainsi, la souveraineté numérique combine indépendance technologique et protection juridique.

La convergence de la géopolitique, du droit et de la technologie

La souveraineté numérique est devenue particulièrement pertinente en raison de l'accumulation de plusieurs événements géopolitiques et d’une sensibilisation croissante à certaines contradictions juridiques.

Contradictions juridiques

Les lois américaines de surveillance, telles que le Cloud Act et la FISA 702, permettent au gouvernement américain d’exiger l’accès aux données détenues par des entreprises américaines, même si ces données sont stockées en Europe. Cela entre directement en conflit avec les droits fondamentaux à la protection de la vie privée garantis par le RGPD européen.

Cette contradiction a été particulièrement mise en lumière en 2020, lorsque les États-Unis ont revendiqué des données personnelles dans l’affaire impliquant Max Schrems.​

Un activiste autrichien militant pour la protection des données privées. L’ironie n’a pas échappé à la communauté européenne. Les organisations européennes utilisant des services cloud américains – tels que Microsoft 365, Google Workspace ou AWS – se sont soudainement retrouvées confrontées à un problème juridique majeur. Elles ne pouvaient plus garantir que les données de leurs clients et de leurs employés étaient à l’abri des yeux de gouvernements étrangers. Cette situation a obligé les entreprises à se poser une question fondamentale : « Où sont nos données et qui en contrôle l’accès ? »



Tensions géopolitiques et instabilité économique

Le monde est devenu beaucoup plus instable ces dernières années. La rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine, la guerre en Ukraine, ainsi que les tensions entre l'Europe, la Russie, les États-Unis, Israël et Gaza, ont montré de manière frappante comment la technologie peut être utilisée comme une arme.

Exemples:

  • Les États-Unis interdisent au géant chinois Huawei l’accès à leur marché et imposent des restrictions à l’exportation sur les puces électroniques.
  • La crainte que la Russie ou la Chine puisse couper l’accès à des logiciels ou à des infrastructures critiques.
  • La forte dépendance envers l’industrie taïwanaise de semi-conducteurs avancés constitue un risque stratégique majeur.
  • Le manque de confiance envers certaines entreprises ou gouvernements étrangers, en raison de divergences politiques ou idéologiques.

Les gouvernements et les entreprises prennent désormais conscience que dépendre excessivement d’un seul pays ou d’une région pour une technologie cruciale constitue un risque inacceptable pour la sécurité nationale et la stabilité économique. L’autonomie stratégique n’est plus un luxe, mais une nécessité absolue.

Explosion des données numériques 

La valeur économique des données numériques a augmenté de manière exponentielle. Les modèles commerciaux des plus grandes entreprises mondiales reposent sur la collecte et l’analyse de celles-ci.

L’alerte a été donnée : l’Europe a pris conscience qu’elle risquait de devenir une « colonie numérique ». Nous produisons des données extrêmement précieuses, mais les gains économiques liés à celles-ci profitent en grande partie aux géants technologiques non européens qui contrôlent les infrastructures.

L’appel à la création d’une véritable économie européenne des données s’est donc intensifié. L’objectif de la souveraineté numérique est de générer de la valeur et des emplois en Europe, tout en renforçant son indépendance économique.

L'intensification des cybermenaces et la directive NIS2

La cybercriminalité prend des allures de plus en plus professionnelles, ce qui rend la sécurité et le contrôle plus essentiels que jamais. Pour y faire face, la directive NIS2 a pour but de renforcer la cybersécurité des entreprises européennes, ainsi que de leurs chaînes d’approvisionnement.

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Avantages et limites de la souveraineté numérique

Bien que la souveraineté numérique soit motivée par d'excellentes raisons, elle fait également face à de nombreux obstacles.

Arguments en faveur de la souveraineté numérique :

  1. Cybersécurité renforcée : Les données stockées et traitées au sein de l’UE par des entreprises européennes sont soumises au RGPD (Règlement général sur la protection des données), l’une des lois les plus strictes au monde en matière de droit au respect de la vie privée. Elle protège les citoyens et les entreprises contre les accès non autorisés et les abus, y compris l’espionnage par des puissances étrangères.

  2. Autonomie accrue : Une trop grande dépendance aux technologies non européennes (puces, infrastructure cloud, systèmes d’exploitation, etc.) nous rend vulnérables. Que se passerait-il en cas de boycott commercial ou de retrait de licences logicielles en raison de tensions géopolitiques ? Notre économie et nos secteurs critiques (santé, énergie, administration) pourraient être paralysés.

  3. Renforcement de l’économie européenne : En investissant dans notre propre écosystème numérique, nous stimulons l’innovation et favorisons la croissance économique en Europe. 

  4. Sécurité juridique : Les entreprises européennes travaillant avec des partenaires européens profitent d’un cadre juridique stable, tout en évitant l’incertitude liée à des législations étrangères susceptibles de changer brusquement.

Risques et
limites :

  1. Protectionnisme et restriction du choix : Une approche trop protectionniste pourrait limiter l’accès aux technologies innovantes en provenance de l’extérieur de l’Europe. Les organisations doivent conserver la liberté de choisir les solutions technologiques les mieux adaptées à leurs besoins, quelle que soit leur origine.

  2. Risque d’un retard stratégique : L’Europe accuse un certain retard en matière d’infrastructures numériques (cloud, puces, etc.), ce qui rend irréaliste l’idée d’une indépendance totale à court terme.


Découvrez dans le prochain blog quel est le dilemme juridique lié à la souveraineté numérique.


Souveraineté numérique : de quoi s'agit-il ?
Able bv, Ellen Le Beer 20 août 2025

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